Tchékhov à la folie au Poche-Montparnasse, follement réussi
Jean-Louis Benoit réunit trois acteurs de talent pour mettre en scène La demande en mariage et L’ours. Ces comédies en un acte qui apportèrent à Tchékhov le succès et surtout une manne financière provoquent une franche explosion de rires.
Les deux comédies, « des petits vaudevilles, des plaisanteries » comme les nommait Tchékhov, ont pour point commun la naissance d’un couple. Mais rien ne s’y passe pourtant sous les auspices de l’amour et de la tendre union. Dans les deux cas, les protagonistes se laissent emporter par des questions secondaires et mesquines, loin du motif de leur rencontre. De tempérament colérique et merveilleusement grotesque, ils soulèvent des tempêtes, ils crient et gesticulent alors que tout paraissait inciter à un échange courtois. Nous sommes bel et bien en Russie, aux antipodes du soi-disant délicat esprit français, dont l’auteur se moque gentiment au passage par le biais d’un personnage. Tout, y compris une peccadille, se vit comme une question essentielle, quitte à frôler la mort, et ce savoureux décalage entre la réelle valeur d’un événement et l’importance vitale que lui accorde le personnage, crée une cocasserie garantie.
Cette caractéristique déroulée savamment par Tchékhov est menée ici tambour-battant par une équipe de qualité. La démesure est rondement menée par les acteurs. Ils parviennent à des extrémités en maniant le rythme, le sens de l’emballement et de la rupture, et ils combinent la facétie à la rudesse. Jean-Paul Farré qui a plus d’une corde à son arc et dont on connait le grand sens burlesque parvient en prime à surprendre, ajoutant à l’humour une touche désopilante de sincérité, piquante et drôle, qui retourne admirablement son public. Il met en relief l’épaisseur de Tchékhov car sous la farce étourdissante, les thèmes de la misogynie, de l’appât du gain et autres travers humains, n’en sont pas moins brossés. À ses côtés, Emeline Bayart, la créature poétique extravagante de rustrerie, déploie une gamme comique époustouflante et Manuel Le Lièvre déclenche avec brio maints éclats de rire, alternant suffocations et timidité avec une impressionnante souplesse de jeu.
Le plateau a des airs joliment bucoliques et le décor de Jean Haas installe une douceur campagnarde, mais quand l’ambiance se dérègle, c’est pour le plus grand plaisir des spectateurs. Après le paisible gazouillis des oiseaux, attendez-vous à ce que la fièvre monte à l’égale d’une vodka avalée d’un trait. L’outrance devient alors irrésistible et Tchékhov à la folie est un vrai moment d’enjôleuse folie.
Emilie Darlier-Bournat
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